Le
Rapt, enlèvement d'une belle naïade par un brutal triton, fait plus qu'aucune
autre sculpture monumentale, partie du paysage troyen, surtout depuis son
récent séjour à proximité de l'hôtel de ville, le temps des travaux du parking
souterrain. La naïade éplorée se débat de nouveau, place de la Libération. Mais
le triton et son ondine n'ont pas toujours fait l'unanimité. Son emplacement
non plus.
Un cadeau de Suchetet
Tout commence en 1907. Alors que la
municipalité projette l'aménagement d'un square face à la préfecture, Auguste
Suchetet propose à la Ville une copie en bronze de son œuvre.
Il
a créé ce groupe de statues de 1900 à 1902, alors qu'âgé de 45 ans, il
bénéficie à Paris d'une renommée qui lui évite enfin les soucis matériels. Le
modelage en plâtre du Rapt fait sa première apparition en public, au Salon de
1903.
De
l'avis général, il mériterait, dans une version définitive en marbre, de
concourir pour la médaille d'honneur. Au Salon de 1907, l'œuvre passe de peu à
côté de la médaille mais reste exposé au Petit Palais. Le sujet n'est pas d'une
folle originalité. Les enlèvements de naïades courent les rues de l'histoire de
l'art. C'est la composition tout en hauteur et « la tournure nouvelle » de
l'interprétation qui ont été applaudies par les critiques. À la différence de
beaucoup d'autres, la naïade de Suchetet ne joue pas la fausse pudeur. Elle
lutte de toutes ses forces contre le dieu marin, lui écrasant le visage, se
cambrant et jouant joliment des hanches pour desserrer l'étreinte. Mais le triton
ne lâche rien.
Suchetet
propose aux Troyens Le Rapt en version de bronze pour 15 000 F, un prix jugé «
cadeau ». La vente est signée le 6 juillet 1907 par le maire de l'époque, Louis
Mony, qui envisage d'installer le groupe de statues dans la cour intérieure de
l'hôtel de ville. Suchetet ne veut rien savoir : c'est le jardin de la
préfecture ou rien. Louis Mony suggère une alternative : le jardin du Rocher.
Suchetet, doté d'un caractère bien trempé, refuse.
Vainqueur
des élections municipales de 1908, Charles Lemblin-Armand se montre tout acquis
aux souhaits du sculpteur. D'abord, il compte développer le quartier de la
préfecture ; ensuite, il considère que poser Le Rapt sous les fenêtres du
préfet et du conseil général est le meilleur moyen d'obtenir des subventions
pour l'aménagement de la place et du square : pavement, construction du bassin,
achat de neuf candélabres et d'une clôture.
Trop
nue et impudique
Arrivé à Troyes en juillet 1908, Le
Rapt doit patienter dans une ancienne usine du quai La Fontaine. Les palabres
se prolongent pendant… quatre ans. Aux dissensions financières succèdent les
dilemmes sur la nature de la pierre du bassin : Étrochey ou Cerisey ? C'est
seulement en 1912 que le triton et sa naïade peuvent enfin s'ébattre au cœur du
nouveau jardin. L'accueil troyen est mitigé. Le journaliste Chanterelle salue «
une œuvre grandiose, de conception géniale ».
Pour
d'autres, la scène est trop crue, la naïade trop nue, trop impudique. Vulgaire
! L'œuvre fait scandale. Mais Auguste Suchetet ne cède pas : il n'ajoutera
aucune feuille de vigne ! L'habitude aidant, la sauvageonne ondine gagna
l'affection des Troyens. Une nouvelle polémique se fait jour en 1925 quand la
Ville installe des jets d'eau sortant du gosier de quatre grenouilles. L'artiste
tempête, dénonçant un choix de mauvais goût. Comment ses statues marines
peuvent-elles s'accommoder de batraciens « animaux lourds et sans distinction »
des mares et des fossés ?
Son
œuvre connut bien pire. En 1942, la naïade et son triton succombèrent à une
agression irrémédiable. Le Rapt fut enlevé par les Allemands pour être
transformé en obus. Tous les bronzes des jardins publics avaient été recensés.
Le
marbre de Paris
Avec ses 870 kg de bronze, le groupe
de Suchetet arrivait en tête de liste. Le 22 janvier, une entreprise de
charpente fut réquisitionnée pour désocler la monumentale statue. Malgré
l'interdiction permanente de prendre des photos, un Troyen fixa la scène… Après
une nuit d'effondrement dans le bassin enneigé, Le Rapt disparut. À jamais.
Après la guerre, à l'heure de la reconstruction, Troyes demanda à Paris les
conditions dans lesquelles elle pourrait acquérir le marbre conservé au Petit
Palais. La requête ne pouvait pas mieux tomber. Au sein du musée parisien, Le
Rapt était devenu encombrant et passé de mode… C'est sans aucune contrepartie
financière que Troyes récupéra Le Rapt, dans sa version en marbre. À la veille
de Noël 1949, il retrouva son socle, son bassin et son jardin. Belle histoire,
non ?
Arrivé
à Troyes en juillet 1908, le groupe de bronze dut patienter quatre ans…
Merci à L'Est Eclair
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